Ce samedi 10 décembre 83, il faisait froid.

Pour la première fois quelques flocons de neiges tombaient sur ce village pourtant situé à 400 mètres d'altitude.

C'est en réalité le premier souvenir que j'ai de façon consciente de ce qu'est un flocon de neige. Dans cette région du monde où l'eau peut être amenée à manquer, ce n'était pas le cas pour nous; au contraire; on avait même droit à des pluies torrentielles qui se transformaient en torrents de boues faute de canalisations, que celles-ci n'aient jamais été construites ou qu'elles aient été détruites par les obus qui éventraient les rues.

Ce 10 décembre, on était beau. Mon frère et moi devions aller à l'église pour mettre en place le sapin de Noêl et participer à la décoration de l'église. L'église sainte Thérèse. Il s'agissait d'une toute nouvelle église bâtie sous terre en remplacement d'une ancienne chapelle qui ne supportait plus le nombre de croyants et les villageois. Et puis, c'était la guerre. Alors dans mon esprit, quoi de plus normal que de pouvoir prier à l'abris des bombes, à l'abris de la mort.

Ce matin là, vétu de mon pull et de mon pantalon en velours, j'étais heureux et serein. Heureux car je savais que les fêtes approchaient et que j'allais recevoir des cadeaux pour Noêl, et serein car, pour la première fois depuis longtemps, je sentais que maman était heureuse.

Elle nous attendait dans la rue, devant la maison. Avec ses talons, elle était vétue d'un pantalon qui mettait en évidence sa fine taille et d'un pull col roulé en cachemir qui mettait en valeur sa longue chevelure et son visage maquillé et souriant.

Et pourtant.

Ce samedi là en quittant ma maman et en l'appercevant depuis le virage qui nous menait à pied à l'Eglise, j'ai bien senti qu'elle nous regardait avec insistance. Elle ne bougeait pas.

Et cette image de ma maman qui nous fixait de loin j'aurais tellement voulu pouvoir l'avoir sur un téléphone portable, un ipad, ou même sur une vielle péllicule kodak.

Cette image de maman aura été la dernière. Celle d'une femme mince, belle, souriante et aimante.

Ce fameux samedi 10 décembre marquera à jamais ma vie.

Ce jour-là maman disparaitra et notre vie basculera.

Point de rupture

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